Par Pierre

30 juillet 2015

Apprendre les langues étrangères nous rend-il meilleurs ?

L’apprentissage d’une langue ne peut être vu comme un simple projet s’étalant sur quelques années. Il ne s’agit pas uniquement d’apprendre des centaines de mots pour les régurgiter ensuite. C’est un processus complexe, qui nous transforme en profondeur et nous pousse à intégrer une nouvelle manière de dire et de voir le monde. Vu sous cet angle, il peut être tentant d’affirmer qu’apprendre les langues fait de nous de meilleures personnes. Qu’en est-il vraiment ?

Les avantages du bilinguisme, une simple affaire de perception ?

Cette réflexion m’a été inspirée par deux articles sans lien entre eux, sinon une volonté de s’attaquer à des idées communément admises. Le premier est paru dans le Courrier International et oppose deux points de vue sur la question suivante : la littérature nous rend-elle meilleurs ? En d’autres termes, la pratique de la lecture développe-t-elle l’empathie, élève-t-elle l’âme, comme on se plaît souvent à le dire ?

Le second, plus proche de notre domaine, identifie un possible biais de publication dans la parution d’articles sur les possibles bénéfices du bilinguisme. Pour résumer, les études démontrant un avantage chez les personnes bilingues sont plus souvent citées que celles qui n’en révèlent aucun. A en croire cette publication, les auteurs d’articles sur le bilinguisme partiraient souvent du principe que parler deux langues ou plus présente des avantages indéniables et ont donc tendance à citer des études qui vont dans ce sens.

Un peu d’objectivité

Je ne saurais dire pourquoi, ces deux articles se sont rencontrés dans ma tête et ont donné lieu à une effusion de réflexions, un peu comme un Mentos plongé dans du Coca Cola.
De manière générale, les passionnés de langues étrangères s’entendent sur l’affirmation suivante : apprendre les langues étrangères ferait de nous de meilleurs citoyens, en développant notre empathie et notre compréhension du monde. Si nous devions écrire un article sur le sujet, nous nous empresserions de citer toutes les études scientifiques allant dans ce sens, tout en prenant soin d’éviter les autres. C’est ce que l’on appelle un biais de confirmation : on part avec une idée déjà établie en tête et on ne sélectionne que les éléments confirmant cette idée.

J’ai donc décidé de me pencher sur le sujet en essayant d’être objectif, ce qui est plus facile à dire qu’à faire. Alors, quel effet les langues étrangères ont-elles sur notre personnalité ? Notez que cet article n’a pas pour vocation de se baser sur des preuves scientifiques, plutôt sur mon expérience personnelle.

Les effets de l’apprentissage d’une langue étrangère

Des bénéfices surestimés ?

Au risque de me mettre certaines personnes à dos, je ne suis pas convaincu que l’apprentissage d’une langue étrangère développe nécessairement les qualités humaines les plus désirables en société : altruisme, empathie, bienveillance, impartialité…
Après tout, pour prendre un exemple un peu facile, certains dignitaires nazis étaient polyglottes (Göbbels parlait couramment français). On ne peut pas vraiment dire que cet apprentissage les ait dotés d’une quelconque grandeur d’âme ! Plus près de nous, Viktor Bout, le célèbre marchand d’armes ayant inspiré le film Lord of War, maîtrise une bonne dizaine de langues. Ces compétences linguistiques hors du commun l’ont sans doute bien aidé dans son commerce, mais n’ont guère profité aux populations civiles des pays africains qu’il a contribué à armer…

Je reconnais volontiers le côté sensationnaliste de ces exemples, mais ils démontrent bien qu’on peut apprendre de nombreuses langues sans atteindre cet « éveil spirituel » promis par certains. Notons d’ailleurs que Viktor Bout parle couramment l’espéranto, langue à laquelle sont traditionnellement attachés des idéaux de paix et d’égalité. Comme quoi, tout est possible !

Un vœu pieux transformé en croyance ?

Je pense simplement que les amoureux de langues étrangères ont majoritairement une vision humaniste et une démarche très sincère d’ouverture à d’autres cultures. Aveuglés par leur passion, ils projettent dessus la vision qu’ils ont d’elle : si l’apprentissage des langues étrangères les a aidés à devenir meilleurs, alors quiconque apprendra une langue deviendra une meilleure personne à son tour.

Dans les faits, il s’agit plutôt d’un vœu pieux et cette transformation psychologique me paraît relever de la personnalité de chacun. Certaines personnes trouveront dans leur apprentissage un véritable épanouissement personnel, tandis que d’autres en tireront des bénéfices tout en continuant à agir égoïstement.

Langue étrangère - cheminement
L’apprentissage d’une langue vous ouvre un nouveau chemin. Ce que vous trouverez au bout de cette route dépendra uniquement de vous, pas de la langue.

Ce que vous pouvez attendre de l’apprentissage d’une langue

Je vais à présent vous présenter les bénéfices liés à l’apprentissage des langues étrangères, tels que je les perçois. Ce point de vue n’engage que moi et peut-être sera-t-il différent pour vous, en fonction de votre caractère et de vos aspirations.

Une meilleure compréhension des sociétés étrangères

Une culture vue de l’intérieur

Il me semble inconcevable d’apprendre une langue étrangère sans se plonger dans la culture dont elle est issue. A travers la langue, on s’habitue à une certaine manière de penser, de parler de soi et de son environnement.
Cette découverte culturelle se poursuit généralement par plusieurs biais : on se rend sur place, on discute avec les habitants, on s’abreuve d’œuvres diverses et variées. Après quelques années, on finit par acquérir une meilleure compréhension du pays et de ceux qui y vivent.

Cet œil plus aguerri permet entre autres de mieux percevoir les grands enjeux internationaux et de dépasser la lecture parfois simplistes qu’en font les médias traditionnels, voire notre tendance naturelle à réduire des blocs antagonistes à une opposition « gentils – méchants », déconnectée de la réalité.

Un regard plus juste, au-delà des clichés

Le fait d’apprendre une langue permet également de dissiper certaines illusions par rapport à un pays. Par exemple, lorsque j’entends des adolescents ou de jeunes adultes proclamer qu’ils souhaitent plus que tout partir vivre au Japon, alors qu’ils n’y ont jamais mis les pieds, je m’interroge un peu. Pour ces personnes, le fait d’apprendre le japonais est une expérience très enrichissante : en se frottant à la réalité de la culture japonaise, certaines d’entre elles confirmeront cette passion, d’autres non. Les membres de ce second groupe s’épargneront au moins une énorme déception, tout en ayant élargi leurs horizons linguistiques.

Apprendre une langue permet donc de jeter un regard plus lucide sur un pays, sur ses qualités mais aussi sur ces travers, car nulle société n’est parfaite. Mieux, c’est aussi l’occasion de dépasser cette dualité « bon – mauvais pays », dénuée de sens. Pour prendre un exemple récent, vous en avez assez qu’on vous rebatte les oreilles avec les « méchants usuriers allemands » ou les « Grecs irresponsables » ? Demandez plutôt leur avis à des personnes qui ont vraiment pris le temps de se familiariser avec l’un ou l’autre de ces pays. Vous obtiendrez forcément un avis plus nuancé.

Langues étrangères et voyage
Apprendre les langues et voyager est une bonne manière de briser ses idées préconçues et d’acquérir un œil plus critique.

Une école de patience et de régularité

L’apprentissage d’une langue étrangère prend au minimum quelques mois pour atteindre un petit niveau conversationnel, des années pour pouvoir se débrouiller parfaitement.
Notre époque ne se prête pas forcément à ce genre de projet au long cours, toute obsédée qu’elle est par le rendement à court terme et la gratification immédiate. Avec Internet, nous sommes exposés à tant de distractions qu’il en devient difficile de gérer son temps et de lutter contre la procrastination.
Acquérir cette discipline n’est pas facile, mais avec beaucoup de motivation et pourquoi pas un peu d’aide extérieure, tout le monde peut prendre de bonnes habitudes et gagner en régularité. J’en sais quelque chose, il y a quelques années encore, j’étais moi-même un procrastinateur professionnel.
L’étude d’une langue étrangère offre donc l’occasion de retrouver le temps long en apprenant un peu chaque jour.

Si vous arrivez à prendre le pli (et vous y arriverez), vous pouvez même transposer ces techniques à d’autres domaines : si vous avez toujours rêvé d’écrire un roman ou d’apprendre à jouer d’un instrument, les bonnes habitudes que vous avez prises vous y aideront grandement.

Conclusion : des avantages réels mais pas généralisables

Je pourrais ajouter d’autres bénéfices possibles, mais une fois de plus, je doute qu’ils s’appliquent à tous. N’en déplaise aux férus de développement personnel, je ne pense pas que le fait d’apprendre une langue renforce automatiquement des qualités telles que la tolérance et l’empathie. Tout dépend de votre personnalité et des vertus que vous souhaitez voir dans cette activité, consciemment ou non : si vous êtes plutôt ouvert d’esprit, alors l’apprentissage des langues étrangères renforcera cette tendance. Dans le cas contraire, vous serez polyglotte, mais vous resterez fermé d’esprit.

Cet article n’a pas pour but de vous décourager, bien sûr que non. Il vise simplement à injecter un peu de réalisme dans le débat. Pour vous donner un exemple, je vois souvent passer des articles vantant les avantages du bilinguisme chez les enfants en bas âge : personnellement, je ne suis pas convaincu que le fait d’apprendre l’anglais à deux ans développe comme par magie des qualités humaines fortement désirables.

La connaissance est un outil : l’usage que vous en faites dépend de vous

A mes yeux, l’étude d’une langue est l’accès le plus direct à une culture et dote l’apprenant d’une vision plus nuancée, de cette culture d’une part et du monde d’autre part.
La manière dont vous recevrez cet enseignement ne dépendra que de vous. Pour conclure cet article, voici une citation qui résume mon point de vue et que vous avez déjà eu l’occasion de lire il y a quelques semaines :

Celui qui apprend la langue d’un peuple n’aura pas à le craindre
Proverbe arabe

Crédit images : Hernán Piñera, highlights6, hjl.

Pierre

Fondateur du Monde des Langues, j'aide les passionnés de langues à devenir plus autonomes et à atteindre leurs objectifs. J'ai eu l'occasion d'apprendre l'allemand, l'anglais, le finnois, l'italien et le japonais.

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  1. Ton article est très complet et je suis d’accord avec toi. L’apprentissage d’une langue est l’une des pratiques les plus gourmandes en ressources pour l’humain -ne nécessitant pas uniquement de payer quelques choses sur internet mais plutôt une véritable transformation comme tu l’as déjà dit. Et puis, le véritable apprentissage de la langue se fait généralement en dehors du système scolaire. Ainsi, j’ai tendance à penser que l’apprentissage de la langue est une première étape dans le domaine du « apprendre à apprendre » – c’est un socle. Et une fois cette première étape plus ou moins validé, oú même pendant sa validation, il est sûrement possible de voir un changement en nous-mêmes nous poussant alors à apprendre de nouvelles choses et ainsi de suite. Et c’est bien cette attitude qui peut alors mener à (je reprends tes mots) l’altruisme, l’empathie, la bienveillance et l’impartialité oú peut être bien à l’égoïsme et la haine. C’est à ce moment là qu’on distingue les « gentils » des « méchants » 😉

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