Par Pierre

13 novembre 2014

français nuls en anglais

Chaque domaine possède ses grandes idées reçues, répétées tant de fois qu’elles se sont transformées en pseudo-vérités admises par tous : nous n’utilisons que 10% de notre cerveau, les autruches se cachent la tête dans le sol lorsqu’elles ont peur, le noir va avec tout, etc. Notre passion n’échappe malheureusement pas à cette règle. Je vous propose donc d’en finir une bonne fois pour toutes avec le pire des clichés, à savoir le mythe du Français nul en langues.

Aux origines du mythe

La mauvaise réputation de nos compatriotes vis-à-vis des langues étrangères, anglais en tête, n’est malheureusement pas usurpée.
Dans l’un des premiers articles parus sur le blog, je donnais quelques raisons qui, à mon sens, expliquaient les faibles performances françaises : un système éducatif peu adapté, qui encourage peu l’initiative personnelle, fustige l’erreur (pourtant essentielle)… Ne me faites pas pour autant dire ce que je n’ai pas dit : il existe d’excellents profs de langues, ils évoluent simplement dans un cadre peu propice à leur enseignement.

Autre raison évoquée : une certaine inhibition, une obsession du « zéro faute » qui pousse le Français à éviter de s’exprimer à l’oral, par peur du ridicule, voire pour certains par excès de modestie. Je pense par exemple à notre ancien président Jacques Chirac, russophone, qui s’exprimait uniquement en français lors de ses déplacements en Russie, prétextant qu’il ne souhaitait pas faire étalage de son russe.
A l’inverse, nous avons Mark Zuckerberg, patron de Facebook, que l’on voit parler mandarin devant une assemblée ravie, bien que certains observateurs aient comparé son niveau de chinois à celui d’un enfant de sept ans…
Réserve typiquement française contre volontarisme américain : notre aisance à l’oral semble profondément liée à notre culture.

Le français, une langue trop influente ?

Avec quelques autres pays d’Europe (Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Pays-Bas…), la France s’est longtemps imposée comme une puissance mondiale, diffusant sa langue et son influence aux quatre coins du monde. Dans un monde longtemps resté européen, le français se suffisait à lui-même et était d’ailleurs parlé par de nombreux étrangers, intellectuels et aristocrates. Dans ces conditions, les Français étaient naturellement avantagés, car la langue à apprendre en Europe, c’était bien le français !
Aujourd’hui, tout cela a bien changé : l’anglais a pris la place dominante qu’on lui connaît, ne pas le parler revient à être marginalisé dans un monde de plus en plus interconnecté.

La malédiction des grands pays

Lorsqu’il s’agit de comparer les compétences françaises en anglais avec un autre pays, c’est souvent la Suède qui est donnée comme parfait exemple à suivre. Or, sans jugement aucun, notre voisin nordique peut être considéré comme un « petit pays » : une population réduite, une influence politique faible depuis plusieurs siècles. Pour se développer et trouver sa place dans le monde contemporain, la Suède a donc fait le choix de « s’aligner » sur la première puissance de la planète, les Etats-Unis.
La France, en revanche, a longtemps été une grande puissance, tout comme d’autres pays où, curieusement, on parle relativement peu de langues étrangères : le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon, la Russie… En effet, j’ai pu personnellement constater que les habitants de ces pays étaient, pour une bonne partie, peu portés sur les langues.
Tout de suite, le mythe d’une France « unique mauvaise élève » semble bien peu crédible…

Nuls en langues ou simplement nuls en… anglais ?

Cet angle d’attaque politique explique beaucoup de choses : la France, surtout celle du général de Gaulle, s’est longtemps présentée comme une alternative au modèle anglo-saxon, représentée par le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Etre obligé de parler anglais, pour de nombreux Français, est donc vécu comme une contrainte, un aveu d’échec du modèle français dans un monde dominé par l’anglais. Voilà donc à mon avis la raison la plus profonde de notre faiblesse face aux langues étrangères : la peur de nous ouvrir à un monde dont nous n’acceptons pas les règles du jeu, de voir notre langue disparaître et notre identité avec.
Pourtant, regarder un film américain en VO, consulter un site anglophone, répondre en anglais à un étranger qui demande son chemin en anglais, rien de tout cela ne nous mènera au bord de l’extinction !

Monty Python
Ah, ces satanés Français ! Toujours fâchés avec les Anglais et leur langue !

Vous reprendrez bien un peu de French bashing ?

La notion de French bashing (fait de dénigrer la France, sa culture, sa mentalité) est très à la mode ces temps-ci et a cela de particulier qu’elle est très prisée des Français eux-mêmes. Dans un pays fatigué, englué dans une crise économique qui n’en finit plus, les Français doutent d’eux-mêmes et ont l’impression d’être nuls en tout, face à un monde anglo-saxon qui se porte relativement bien.
Cette autoflagellation permanente est absolument contre-productive : comment voulez-vous apprendre à faire quelque chose tout en étant persuadé d’en être incapable, avant même d’avoir essayé ?

Toujours dans cet ordre d’idée, comparer la France avec un pays « bon élève » tel que la Suède, comme dans cette infographie (intéressante au demeurant), est dénué de sens. Si l’apprentissage des langues dans les pays scandinaves est en effet plus performant qu’ici, leur situation n’a rien à voir avec la nôtre. Les pays nordiques, peu peuplés, ont fait le choix du tout-anglais (souvent au détriment des autres langues), conscients que personne n’allait se donner la peine d’apprendre leur langue. Sauf si vous êtes comme moi, un peu fou, et que vous apprenez le finnois. Ajoutons à cela que l’anglais est une langue germanique, donc relativement facile à apprendre pour les Scandinaves (Finlandais exclus).

Finies les mauvaises excuses !

Cessons donc de nous lancer dans des comparaisons stériles avec nos voisins. La croyance d’une médiocrité française en langues, bien que basée sur des faits irréfutables, n’aura aucun effet positif sur la situation. Tout comme il a été prouvé scientifiquement que culpabiliser un obèse sur son poids ne l’aidera pas à en perdre, partir du principe que nous sommes incapables d’apprendre les langues ne nous aidera pas à les apprendre.
Dites-vous simplement que vous êtes autant capable d’apprendre l’anglais, ou toute autre langue, qu’un Allemand ou un Suédois. Vous persuader du contraire ne serait qu’une mauvaise excuse pour ne pas vous mettre aux langues vivantes.

Beaucoup d’efforts restent à faire

On l’aura donc compris, le mythe de la nullité française en langues repose en réalité sur un rapport difficile à l’anglais, mais aussi sur le raccourci dangereux qui veut que « les langues » = l’anglais. Saupoudrez le tout d’une bonne dose d’auto-dénigrement à la mode et vous obtiendrez l’une des idées reçues les plus nocives de notre milieu.
Pour finir, on pourrait voir dans le franglais l’enfant-bâtard de la situation actuelle. Une bonne partie des Français, majoritairement jeunes et éduqués, ont recours à des anglicismes à tout va, soit parce qu’ils jugent leur langue incapable d’exprimer la modernité, soit parce qu’ils craignent d’être assimilés à la majorité des « nuls en langues ». Une sorte de snobisme, en somme, qui permet de se démarquer en se rapprochant d’un modèle anglo-saxon qui fait rêver, mais qui ne résout rien à la situation décrite dans cet article.

Pour devenir bon en langues, il est donc nécessaire de décomplexer son rapport au jugement des autres, mais aussi d’abattre les résistances qu’on s’est soi-même créées. Le fait d’être né en France n’a jamais empêché qui que ce soit d’apprendre les langues étrangères, donc : au travail ! 😉

Crédit photo :  Giulia van Pelt

Pierre

Fondateur du Monde des Langues, j'aide les passionnés de langues à devenir plus autonomes et à atteindre leurs objectifs. J'ai eu l'occasion d'apprendre l'allemand, l'anglais, le finnois, l'italien et le japonais.

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  1. « Dites-vous simplement que vous êtes autant capable d’apprendre l’anglais, ou toute autre langue, qu’un Allemand ou un Suédois.  » SAUF que les Allemands et les Suédois ont 5 heures hebdomadaires en collège pour apprendre la langue étrangère! Certes, les Français sont capables mais le gouvernement ne leurs donnent pas les moyens! Avec la nouvelle réforme de Najat Vallaud-Belkacem, tous les collégiens auront encore moins d’heures d’enseignement en langue étrangère! Cette politique ne vise qu’à faire des économies de postes de professeurs!
    Contre la suppression des classes bilangues et européeennes en collège!

  2. Bonjour !
    Je suis d’accord avec le manque de moyens en classe. En revanche, je ne suis pas convaincue que c’est un problème lié à l’anglais lui-même. C’était peut-être vrai pour les générations après-guerre, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien au contraire, l’anglais « c’est cool » à présent ! 😉 Comme vous le dites, pour les jeunes l’anglais aujourd’hui c’est les séries télé, les Etats-Unis, le langage Internet, etc.

    Mais comme vous finissez très bien votre article, il faut y mettre un peu du sien pour arriver à s’améliorer ! Si l’école ne nous permet justement pas encore aujourd’hui d’aller plus loin, il faut alors profiter des toutes les ressources qui sont mises à notre disposition pour apprendre une nouvelle langue, que ce soit l’anglais ou non.

    Bon courage à vous pour le finnois !
    Laure

    1. En effet, l’anglais a la cote auprès des jeunes, principalement urbains. Le fait d’avoir recours à énormément d’anglicismes est à mon sens une manière de marquer son appartenance à la « tribu » des jeunes connectés, ouverts sur le monde, par opposition à une culture française jugée trop fermée.
      Merci tes encouragements, bon courage à toi pour l’allemand !

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